La technoférence semble augmenter le risque de TDAH
MONTRÉAL — Une utilisation accrue des téléphones par les parents a été associée à une augmentation des symptômes d’inattention et d’hyperactivité chez les préadolescents au fil du temps, dans le cadre d’une étude dirigée par une chercheuse de l’Université de Montréal.
Cette «technoférence» ― un terme qui désigne l’interférence de la technologie dans les interactions ou les relations ― a aussi été associée à une anxiété plus importante des préadolescents.
«On parle beaucoup de l’utilisation des écrans par les jeunes ces temps-ci, de l’influence sur la santé mentale, mais il faut aussi ramener les parents dans l’équation», a dit Audrey-Ann Deneault, qui est professeure adjointe de psychologie à l’Université de Montréal.
«Les parents aussi utilisent beaucoup leur téléphone, et on s’est dit que ça devait avoir un impact sur les jeunes, parce que quand un jeune a besoin d’aide ou du soutien de son parent, si le parent est absorbé par son téléphone, eh bien peut-être que ça vient jouer sur le jeune.»
Les résultats ont été mesurés à partir de questionnaires soumis à quelque 1300 préadolescents membres d’une cohorte albertaine. Les questions portaient notamment sur la technoférence perçue des parents et sur la santé mentale des jeunes participants. Encore plus précisément, les jeunes ont été interrogés au sujet de symptômes comme l’anxiété, la dépression, l’hyperactivité et l’inattention.
Les chercheurs ont tout d’abord constaté une association entre les parents qui obtenaient les scores de technoférence perçue les plus élevés quand leur enfant avait 9 ou 10 ans et une hyperactivité/inattention plus importante à 10 ou 11 ans.
«On pourrait présumer que quand les parents sont vraiment absorbés par leur téléphone, les enfants doivent peut-être faire un petit peu plus de bruit, se faire un petit peu plus remarquer pour avoir l’attention du parent, a dit Mme Deneault. Ils n’ont pas cette supervision qu’il y aurait si le parent n’était pas absorbé, disons par son téléphone.»
Des études antérieures ont aussi détecté une association entre l’hyperactivité des enfants et le temps qu’ils consacrent à leurs écrans. Les auteurs de la plus récente étude suggèrent qu’on examine maintenant si la technoférence des parents peut inciter les préadolescents à se tourner vers leur propre appareil, alimentant ainsi leurs troubles d’inattention.
Il se pourrait par ailleurs que l’enfant dont le parent est absorbé par son téléphone ne profite pas de l’aide dont il aurait besoin pour apprendre à réguler correctement ses émotions.
«Si on prend un exemple très simple, on ne remarquera pas nécessairement que notre enfant se fâche parce qu’il a de la difficulté à faire un casse-tête, et le parent ne pourra pas s’en mêler pour lui demander ce qui se passe et l’aider à trouver une solution», a illustré Mme Deneault.
L’association entre la technoférence perçue et l’anxiété mesurée par la plus récente étude cheminait en sens inverse. Ainsi, plus les jeunes étaient anxieux à neuf ou dix ans, plus les scores de technoférence perçue de leurs parents étaient élevés quand ils atteignaient 10 ou 11 ans.
Les parents qui voient leur enfant aux prises avec une anxiété, expliquent les chercheurs, pourront se réfugier dans leur appareil électronique ― qui devient une «barrière», a dit Mme Deneault ― pour éviter des interactions difficiles. Ils pourront aussi utiliser leur appareil pour essayer de trouver l’aide dont ils ont besoin pour affronter la situation.
«C’est un résultat qui nous a un peu plus surpris, a admis Mme Deneault. Ça nous dit que les parents ont de la difficulté à gérer ces émotions-là. Surtout que c’est à cet âge-là que plusieurs jeunes commencent à développer des difficultés de santé mentale et que ça devient un peu plus complexe.»
Les chiffres dont on dispose pour le moment indiquent qu’environ 70 % des parents admettent faire de la technoférence, mais il se pourrait bien que le phénomène soit sous-estimé, a dit Mme Deneault.
«C’est peut-être un petit peu drôle à dire, mais les parents ne savent pas toujours qu’ils font de la technoférence, parce que si tu es désengagé, tu ne sais pas toujours que tu es désengagé, et puis que ça devient problématique», a souligné la chercheuse.
On retrouve aussi dans la littérature scientifique des observations effectuées par d’autres scientifiques, par exemple au parc ou au restaurant, qui ont constaté que les parents, même lorsqu’ils sont en compagnie de leurs enfants, consacrent environ le tiers de leur temps à leur téléphone, a-t-elle ajouté.
Ce faisant, a poursuivi Mme Deneault, les parents donnent à leur enfant un exemple d’absorption dans leur téléphone ou dans la technologie. Il leur sera ensuite difficile de reprocher à leur enfant de faire la même chose ― un bel exemple de fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais.
«Je pense qu’il y a une sensibilisation à faire d’être un petit peu plus à l’affût de notre propre utilisation technologique, puis d’essayer de donner un meilleur exemple à nos jeunes si on veut qu’eux aussi voient la valeur d’avoir des interactions avec les gens qui ne sont pas médiées ou interrompues par la technologie.»
Le téléphone, a rappelé Mme Deneault, est particulièrement invasif parce qu’il nous accompagne partout, contrairement par exemple à l’ordinateur portable ou au téléviseur.
Les parents n’arrivent parfois même pas à s’imaginer comment ils pourraient laisser leur appareil technologique de côté, a rappelé la chercheuse, mais même une courte période de 30 minutes pendant laquelle on laisse le téléphone dans une autre pièce pour se consacrer entièrement à son enfant peut faire une grande différence.
Mais la première étape, disent les chercheurs, est de prendre conscience du problème et de décider de s’y attaquer.
«La motivation est un ingrédient clé du changement de comportement, et les informations sur le lien entre la technoférence des parents et les difficultés de santé mentale des adolescents en devenir pourraient inciter les parents à réduire leur utilisation du téléphone et, par conséquent, leurs habitudes en matière de technoférence», écrivent-ils ainsi dans le journal médical JAMA Network Open.