La Tunisie intensifie la répression préélectorale à la veille du début de la campagne
Des dizaines de membres du plus grand parti d’opposition tunisien ont été arrêtés cette semaine avant le début officiel de la campagne électorale présidentielle, ont déclaré vendredi des responsables du parti.
Ennahda, le parti islamiste qui s’est hissé au pouvoir à la suite du printemps arabe, a affirmé que les décomptes suggèrent qu’au moins 80 hommes et femmes du parti ont été appréhendés dans le cadre d’une opération de répression à l’échelle du pays.
Dans un communiqué, Ennahda a qualifié ces arrestations de «campagne sans précédent de raids et de violations des droits fondamentaux garantis par la loi».
L’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports Ahmed Gaaloul, membre du comité exécutif du parti et conseiller du leader emprisonné Rached Ghannouchi, a déclaré que le parti avait dénombré au moins 80 arrestations et que ce nombre pourrait s’élever à au moins 108.
Les arrestations comprenaient de hauts responsables du parti, dont Mohamed Guelwi, membre du comité exécutif du parti, et Mohamed Ali Boukhatim, dirigeant régional du parti à Ben Arous, dans la banlieue de Tunis.
Ces arrestations massives sont les dernières en date à entacher une saison électorale déjà mouvementée en Tunisie.
Avec une apathie politique endémique et l’emprisonnement des principales figures de l’opposition, le président Kaïs Saïed a longtemps été pressenti pour remporter un deuxième mandat sans grande contestation. Les derniers mois ont néanmoins été marqués par de profonds bouleversements. M. Saïed a limogé la majorité des membres de son cabinet et les autorités ont arrêté un grand nombre de ses opposants potentiels.
L’autorité électorale du pays, composée de membres qu’il a nommés, a défié les injonctions de la justice pour écarter certains opposants du scrutin du 6 octobre. La campagne électorale commence officiellement samedi.
Ces mesures ont été prises après des mois d’arrestations de journalistes, d’avocats et de personnalités de la société civile, dont de nombreux détracteurs du président accusés en vertu d’une loi controversée contre les fausses nouvelles qui, selon les groupes de défense des droits de l’homme, est de plus en plus utilisée pour étouffer les critiques.
Ennahda est toujours en train de confirmer la nature de chacune des arrestations, mais beaucoup de ceux qui ont été appréhendés cette semaine avaient déjà été accusés, selon M. Gaaloul.
Parmi les personnes arrêtées figurent de nombreux hauts responsables du parti impliqués dans le processus de justice transitionnelle en Tunisie, dont des membres d’Ennahda qui ont été torturés dans les années qui ont précédé la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, premier dictateur arabe renversé par les révoltes du printemps arabe en 2011.
Le processus de justice transitionnelle en Tunisie, salué dans le monde entier, est une initiative vieille de 10 ans destinée à aider les victimes qui ont souffert des politiques du gouvernement.
Ennahda n’est pas étranger à l’arrestation de ses membres. M. Ghannouchi, le leader du parti, âgé de 83 ans, est en prison depuis avril 2023. De nombreux hauts responsables, y compris des membres du conseil de la choura et du comité exécutif, ont également été arrêtés au cours de la dernière année.
Un nombre historique d’arrestations
Les arrestations de cette semaine sont les plus récentes depuis que les autorités ont arrêté le secrétaire général du parti, Lajmi Lourimi, il y a deux mois. Bien que le parti dénonce depuis plus de trois ans les arrestations, les détentions et les poursuites judiciaires à l’encontre de ses membres, M. Gaaloul a déclaré qu’il n’avait jamais vu des arrestations d’une ampleur comparable à celle de cette semaine.
Les arrestations ont eu lieu alors que des centaines de Tunisiens ont manifesté dans la capitale de la nation nord-africaine, dénonçant l’émergence de ce qu’ils appellent un État policier à l’approche de l’élection du 6 octobre. Elles ont été condamnées sans appel par les autres partis.
«Ces arrestations sont le signe d’une nouvelle déviation du processus électoral visant à répandre la peur et à empêcher que les prochaines élections soient un véritable vote démocratique», a soutenu dans un communiqué Travail et Accomplissement, un parti dirigé par Abdellatif Mekki, un ancien membre d’Ennahda.
M. Mekki, qui a été ministre de la Santé de 2011 à 2014, a également été arrêté en juillet pour des accusations de meurtre que ses avocats ont dénoncées comme étant motivées par des considérations politiques. L’autorité électorale tunisienne a déclaré qu’elle défierait l’ordre d’un tribunal administratif et l’empêcherait de participer au scrutin du mois prochain.